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01/06/2012

LE SIEGE DE MALTE OU LA GRANDE DEFAITE DE SOLIMAN LE MAGNIFIQUE - 1565 - LA VICTOIRE DE JEAN PARISOT DE LA VALETTE, GRAND MAITRE DES CHEVALIERS DE SAINT-JEAN DE JERUSALEM.

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En 1565, se déroulait devant la forteresse de Malte, tenue par les chevaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem, un siège historique. Les chroniques ont gardé un souvenir impérissable de cette épopée de quelques mois (du 24 mai au 8 septembre 1565), pendant laquelle 500 chevaliers assistés de quelques milliers d’hommes d’armes et d’habitants résistèrent à l’assaut gigantesque de plus de 30.000 attaquants barbaresques. A leur tête, telle l’âme de cette résistance héroïque, un homme, un moine-soldat, le chevalier Jean Parisot de la Valette, grand maître de l’Ordre des chevaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem.

Né en 1494 d’une famille noble du Languedoc, il entre à l’âge de 20 ans dans l’Ordre où, gravissant les fonctions, il occupe bien vite des postes prestigieux, tel, en 1537, celui de gouverneur de Tripoli, ou encore, en 1554, celui de général des galères de Malte. Dans cette dernière fonction, il se révèle un chef d’escadre redoutable devant ses ennemis.

Au cours de ses périples maritimes, il fut même prisonnier de Dragut, suite à une action contre le corsaire barbare Abdul-Rahman Kust Ali. Il connaîtra donc, pendant une année, la dure condition du galérien, avant d’être échangé contre des prisonniers.

Le 21 août 1557, il est élu grand maître de l’Ordre en raison de sa sagesse, de son courage et de son expérience. Les menaces d’une attaque ottomane contre l’île de Malte ne résonnent-elles pas à l’horizon ? Aussi, poursuit-il l’élan donné à la guerre de course contre les corsaires opérant dans le Levant. Il accentue la consolidation de la flotte et de la défense de Malte, et il rétablit la discipline quelque peu relâchée de l’Ordre en ramenant notamment sous son autorité certaines commanderies qui s’étaient rendues indépendantes. « Il parla si haut et avec tant de fermeté, que tout ploya sous ses ordres. »

La devise « Plus quam valor, valet Valette » qui sera gravée sur la garde en or massif et incrustée de perles précieuses et de diamants du poignard offert après sa victoire au grand maître par le roi d’Espagne, Philippe II, résume bien la valeur de cet homme exceptionnel.

Un de ses contemporains, Brantôme, témoigne : « Outre sa vaillance et capacité, M. le grand maître Parisot était un très bel homme, grand, de haute taille, de très belle apparence et belle façon, point émue [embarrassée], parlant très bien en plusieurs langues (1) (…) »

Un autre témoin nous rapporte qu’il était « grand et bien fait, de grande allure et il portait bien sa dignité de grand maître. Son caractère est plutôt triste, mais pour son âge, il est fort robuste. Il est très pieux, avec une bonne mémoire, de la sagesse, de l’intelligence et il a accumulé beaucoup d’expérience au cours de sa carrière sur terre et sur mer. Il est modéré, patient et connaît de nombreuses langues. Par dessus tout, il aime la justice et est bien vu de tous les princes chrétiens. »

Avec un tel caractère, il n’est donc pas très étonnant que la Valette fut très estimé même de ses adversaires, et notamment de Dragut qui eût préféré ne pas attaquer Malte tant que le grand maître en fut le commandant. Mais Soliman n’était pas de cet avis et préparait le siège...

De son côté, alerté de ces préparations, la Valette s’occupe activement de consolider la défense de l’île, ne craignant pas de remuer lui-même la terre pour élever des fortifications. Parallèlement à ces travaux, il demande de l’aide et des renforts auprès des princes chrétiens et du pape. Mais s’il reçut une aide financière, aucun ne voulut lui envoyer des renforts en hommes d’armes ! Seules quelques promesses furent annoncées et tant espérées par les chevaliers. Lâcheté des princes ? Crainte de dégarnir les territoires en cas de victoire de Soliman ? Toujours est-il que les chevaliers de Malte, issus de nations différentes mais unis dans une même abnégation, se retrouvent seuls pour affronter une véritable puissance de feu et d’invasion. Les Turcs peuvent aligner quelque 200 navires emmenant une formidable artillerie, quelque 40.000 hommes bien armés et fanatisés, tels les janissaires, recrutés pour la plupart parmi les enfants chrétiens enlevés dans les pays conquis et conduits dans des casernes écoles. Islamisés de force, soumis à une discipline de fer, ils sont le fer de lance de l’armée. A côté de cette armée, se rajoute une foule considérable de Grecs renégats, de Levantins et de Juifs, qui suivaient sur leurs propres navires.

Face à cette puissante armada, la Valette ne peut aligner en défense que 700 chevaliers et frères servants, ainsi que quelque 8.500 hommes, soldats des galères, et issus des contingents étrangers à la solde de l’Ordre et des Maltais, tous regroupés en compagnies. Mais si le compte des forces en présence est indubitablement en faveur des assaillants, le courage des défenseurs, alimenté sans cesse par la flamme et l’élévation d’esprit du grand maître, est sans pareil. Lors de la veillée d’armes, alors que les messages alarmants de la progression rapide de la flotte turque lui parviennent, sans dissimuler le terrible péril qui les menace, ni le doute qu’il éprouve sur la venue des renforts promis, il leur tient ce discours de feu :

« C’est la grande bataille de la Croix et du Coran qui va être livrée. Une armée formidable et une nuée de barbares vont fondre sur cette île ; ce sont, mes frères, les ennemis de Jésus-Christ ; il s’agit aujourd’hui de la défense de la foi ; et si l’évangile doit céder au Coran, Dieu nous redemande la vie que nous lui avons déjà engagée par notre profession. Heureux ceux qui pour une si bonne cause consommeront les premiers leur sacrifice ; mais pour nous en rendre digne, allons, mes chers frères, au pied des autels renouveler nos vœux, et que chacun puise dans le sang même du Sauveur des hommes et dans la pratique fidèle des sacrements ce généreux mépris de la mort qui peut seul nous rendre invincibles ! »

Tous se rendirent ensuite à l’église Saint-Laurent pour la célébration de la messe conventuelle : ils communièrent, renouvelèrent leurs vœux, se pardonnèrent leurs torts réciproques et échangèrent le baiser de paix. Depuis ce jour, ce fut comme si une force nouvelle animait ces hommes tournés uniquement vers la lutte à venir, détachés du monde. N’avaient-ils pas juré « de répandre jusqu’à la dernière goutte de leur sang pour la défense de la religion et des autels. »

Le vendredi 18 mai, au petit matin, le son du canon fait retentir l’alerte. Les habitants se replient. C’est ainsi qu’un arquebusier devait écrire sur la première page de son journal : « Il a plu à Dieu, en cette année 1565, sous le bon gouvernement du courageux et pieux grand maître Jean de la Valette, que l’Ordre fut attaqué par le sultan Solyman, qui s’était senti offensé en personne par le grand tort que lui causaient sur terre et sur mer les galères de cet Ordre ! »

C’est d’abord le fort Saint-Elme qui subit les assauts de la force ottomane dont le siège dura du 24 mai au 24 juin. L’attaque est rude… L’armée ottomane espère emporter rapidement la victoire ! Mais pour le grand maître, le fort doit absolument tenir le plus longtemps possible. La survie de l’île est à ce prix héroïque.

 

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Le siège de Malte, capture de Saint Elme, fresque du XVIe siècle par Matteo Perez d'Aleccio

© Photo ci-dessus : http://fr.wikipedia.org/wiki/Si%C3%A8ge_de_Malte_(1565)

 

LE SIEGE DE SAINT-ELME DU 24 MAI AU 23 JUIN

Le 24 mai, les premières attaques contre Saint-Elme débutent, et malgré la vaillance héroïque des chrétiens, dès le mardi 29 mai, le croissant turc flotte sur un premier rempart de Saint-Elme. Aussi les chevaliers se replient-ils dans le fort. Le jeudi 31 mai, suite à une dépêche du vice-roi de Sicile, venant de Messine, la Valette déclare : « Nous savons maintenant que nous ne devons pas compter sur les autres pour notre délivrance, mais sur Dieu seul. »(2)

Le siège est éprouvant pour le moral des troupes chrétiennes. Certains jours, on put compter pas moins de 6.000 ou 7.000 coups de feu tirés sur Saint-Elme.

Le jeudi 7 juin, le chevalier Medran, connu pour son intrépidité et sa bravoure, est envoyé par les défenseurs du fort pour présenter au grand maître et au Conseil l’état de dégradation des fortifications et la demande de se replier. Bien que plusieurs membres du Conseil soient du même avis que le chevalier sur l’inutilité d’une résistance impossible, le grand maître rejette pourtant la supplique au motif qu’aucun secours ne serait envoyé si le fort tombait, et il ajoute : « Nous avons juré obéissance quand nous avons rejoint l’Ordre. Nous avons aussi juré sur nos vœux de chevalerie que nous sacrifierons nos vies pour la foi, partout et toujours […]. Nos frères à Saint-Elme doivent en accepter aujourd’hui le sacrifice ! » Le salut de Malte et de l’Ordre était à ce prix. Finalement, malgré quelques sautes d’humeur de certains, aucun chevalier ne renâcla à ce devoir d’honneur.(3)

Le dimanche 10 juin, Mustapha fait sonner une grande offensive qu’il espère définitive pour remporter la place forte, vu l’état d’épuisement des défenseurs. En vain… Tandis que 1.500 assaillants restèrent au pied des murailles morts ou mourants, chez les défenseurs, la garnison ne perdit que 60 hommes.

Devant un tel courage des chevaliers et les grandes pertes des siens, le jeudi 14 juin, Mustapha propose une reddition et un passage sain et sauf aux défenseurs du fort… Mais le moral des troupes est intact, surtout depuis la dernière offensive. Aussi, refusent-ils tous !

Furieux, Mustapha et Dragut reprennent l’offensive qui dure 6 heures avec des corps à corps terribles. « Les Turcs, comme les chrétiens restaient incrédules d’un combat aussi meurtrier qui laissent le fort toujours vaillant. »(4)

Lundi 18 juin, Dragut et l’Aga des janissaires sont mortellement blessés par un boulet de canon.

Le mardi 19 juin, un vibrant message de Miranda parvient à la Valette au sujet de l’état de la garnison de Saint-Elme qui ne peut que bientôt tomber : « Il m’a semblé que je ne devais taire à vous la faveur que notre Religion a jusqu’ici reçue en sa défense du fort Saint-Elme, lequel ayant été plus furieusement battu qu’aucune autre forteresse dont jamais on ait ouï parler et jusques avoir souffert 13000 coups de canon en vingt jours que ladite batterie a duré… Ce qu’on peut dire qu’un vrai et évident (sic) œuvre de Dieu, lequel en son infinie bonté, et non par nos mérites, a voulu montrer et faire paraître aux ennemis même comment il est protecteur et défenseur de cette sienne guerre. »(5)

Le lendemain, Miranda demande comme une grâce au grand maître de ne plus envoyer de renforts qui ne seraient que des hommes sacrifiés à la défense d’une place déjà perdue. Après le prochain assaut, les défenseurs pensent bien se replier sur Birgu. Mais la Valette sait que tout repli est désormais impossible.

Le jeudi 21 juin, la procession de la Fête du Corpus Christi malgré le siège et le bruit des canons, est solennellement et pieusement observée, comme depuis la fondation de l’Ordre.

Le vendredi 22 juin, 2.000 turcs perdent la vie sans remporter la victoire. Mais les chevaliers et les soldats se préparent à mourir. « Ils reçoivent les saints sacrements, se donnèrent l’un l’autre le baiser de paix et s’encouragèrent avec les mots de consolation que seuls des hommes d’un tel courage savaient trouver. »(6) Pour éviter la profanation des reliques, ils les cachent.

Le samedi 23 juin, l’assaut final est lancé contre Saint-Elme… A l’étonnement de l’état-major turc, les chrétiens devaient résister encore 4 heures avant de se voir réduits à 60 personnes pour défendre la brèche. C’était la veille de la Saint-Jean… Le dernier message du chevalier de Guaras au grand maître résumait bien la situation plus que désespérée : « Nous fêterons la fête de l’Hôpital dans l’autre monde. » L’étendard de Soliman et de l’islam est bientôt hissé à la place de la croix à huit pointes de l’Ordre de Saint-Jean. Mais pour Mustapha la tâche n’est pas achevée pour autant. Saint-Ange tient toujours. Considérant ses pertes et les sacrifices qu’avait exigés la prise d’un fort si faible en défenseurs, il s’écria : « Que ne fera le père puisque le fils, qui est si petit, nous coûte nos plus braves soldats. » En effet, quelque 8.000 à 10.000 hommes du sultan périrent dans la prise de ce fort, tandis que les chrétiens ne perdirent « que » 1.500 des leurs, dont 120 membres de l’Ordre. Quant aux survivants, ils furent faits prisonniers, réduits en esclavage ou envoyés aux galères. Dans ces circonstances, la barbarie des soldats de Mustapha fut cruelle. Les corps des chevaliers morts furent décapités et leurs troncs cloués sur des planches en forme de croix avant d’être tous jetés à la mer. Quant aux chevaliers qui respiraient encore, « par l’ordre du chef turc, on leur ouvrit l’estomac et, après leur avoir arraché le cœur…, on fendit leurs corps en croix » par dérision de la foi chrétienne… « On les attacha sur des planches et on les jeta à la mer » dans l’espoir que la mer les porterait au pied du Château Saint-Ange.

 

 

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Jean Parisot de La Valette soutint victorieusement en 1565 le fameux siège de Malte contre les 30.000 ottomans de Dragut.

© Photo ci-dessus : http://reinedumidi.com/rdm/Malte.htm

 

 

LE SIEGE DE BIRGU ET DE SENGLEA 24 JUIN - 7 SEPTEMBRE

En vengeur de la cruauté de l’ennemi, et pour faire comprendre aux officiers du sultan de ne pas faire la guerre en bourreau, la Valette fait décapiter les Turcs prisonniers et envoyer leur tête en guise de boulets de canon. Tous comprirent que la guerre serait désormais faite à outrance, sans retour en arrière, et qu’il valait mieux mourir au combat que de cette façon-là.

Avec sa fermeté ordinaire et sa hauteur de courage au-dessus des événements, la Valette organise la défense de Saint-Ange… Les stocks de provisions et d’eau potable sont contrôlés ; les meutes de chiens de chasse qui dérangent la garnison pendant la nuit et mangent les provisions pendant le jour, sont sacrifiées. Avec une noble audace et un regard de feu qui brille dans ses yeux, le grand maître entretient le courage de tous ; il loue la force d’âme des défenseurs de Saint-Elme, montre l’état affaibli de l’adversaire par la maladie et le peu d’approvisionnement qu’il reçoit ; il s’adresse également à la population pour la mettre en garde contre l’état pitoyable de servitude qu’elle subirait en cas de victoire ennemie. Aux troupes, il parle un langage sans détours : « Nous sommes soldats de Jésus-Christ, comme vous, mes camarades. Et si par malheur vous nous perdiez et tous vos officiers, je suis bien persuadé que vous n’en combattriez pas avec moins de résolution et qu’alors vous sauriez bien prendre l’ordre de votre courage. »(7)

Ordre est donc donné de combattre jusqu’à la mort et de ne plus faire de prisonnier.

Le vendredi 29 juin, les chrétiens reçoivent, envoyés par le vice-roi de Sicile, un renfort inespéré de quatre vaisseaux avec 42 chevaliers (dont deux neveux de la Valette), 25 gentilshommes volontaires, 56 canonniers et 600 fantassins. Aussi, et peut-être pour cette dernière raison, le samedi 30 juin, le pacha Mustapha entreprend une négociation et décide de proposer à la Valette les mêmes conditions que celles acceptées par le grand maître Villiers de l’Isle-Adam lors de la chute de Rhodes : un passage assuré en Sicile et les honneurs de la guerre, sous la simple condition d’abandonner Malte. Après tout, la Valette ne pourrait-il accepter ces conditions, lui qui, en 1522, lors de la chute de Rhodes, avait accompagné dans son exil le grand maître de l’époque, Philippe de Villiers de l’Isle-Adam ? Mais les circonstances sont pour l’heure différentes. L’île ne peut être abandonnée sous peine de voir l’islam se répandre dans la Chrétienté. Aussi, après avoir adressé un refus catégorique à l’émissaire grec qui n’en menait pas large, le grand maître ajouta en lui montrant l’épaisse muraille et le fossé : « Dites à votre Maître que c’est le seul endroit que nous voulons céder au pacha et que nous réservons pour l’y ensevelir avec tous ses janissaires. »(8)

Devant le courage et la résistance acharnée et obstinée des chrétiens, le pacha, furieux, fit cette promesse sauvage : « Par les ossements de mes ancêtres, puisse Allah éclairer leurs tombes. Je jure que, quand j’aurai pris ces citadelles, je n’épargnerai aucun homme. Tous, je les passerai au fil de l’épée. Je prendrai seul vivant leur grand maître et lui seul, je le conduirai enchaîné pour s’agenouiller aux pieds du sultan ! » Informé par un transfuge, la Valette s’en montra peu ému et, s’adressant à ses chevaliers, répliqua : « Je l’empêcherai bien, et si ce siège, contre mon espérance, se terminait par un malheureux succès, je vous déclare que j’ai résolu dans cette extrémité, et plutôt qu’on voie jamais à Constantinople, moi vivant, un grand maître chargé de chaînes, de prendre l’habit d’un simple soldat, de me jeter l’épée à la main dans les plus épais bataillons de nos ennemis, de m’y faire tuer et de mourir avec mes enfants et mes frères… ! » De plus, d’après les messages reçus, la Valette ne peut compter que sur les propres forces dont il dispose… Aussi, continue-t-il d’encourager ses chevaliers à mourir les armes à la main. Et pourtant, en Sicile, des voix commencent à se lever pour réclamer une intervention armée de secours. Si Malte tombe, le prochain terrain de conquête ne sera-t-il pas la Sicile et l’Italie du Sud ? Aussi don Garcia, cédant à ces instances pressantes, écrit-il à la Valette pour l’informer que deux galères armées avec 200 chevaliers viendront participer à la défense de Malte pour la fin du mois.

Le samedi 18 août, une nouvelle attaque contre Senglea et le fort Saint-Michel produit une confusion indescriptible chez les chrétiens. Conscient de ses responsabilités, le grand maître n’hésite pas un seul instant et se lance dans la bataille sans prendre le temps de s’équiper. Touché à la jambe par une grenade, aux cris de « le grand maître est en danger », il est bien vite entouré par les chevaliers qui accourent pour le protéger et le prier de se retirer. – « Je ne me retirerai pas aussi longtemps que ces bannières flotteront dans le vent », répliqua-t-il ! Mais les infidèles, chargés de plaies et de blessures, finissent malgré tout par se retirer en désordre. Le grand maître ordonne alors de pendre les bannières prises à l’ennemi dans l’église conventuelle Saint-Laurent. Dans la bataille, la figure du grand maître se découpant sur la brèche était pour les chrétiens comme un signe de ralliement inébranlable.

Après chaque succès, il ne manquait jamais de faire dire des actions de grâces. Pendant toute la durée du siège, cet homme hors du commun ne négligeait jamais ses devoirs, religieux ou militaires, il ne quittait son quartier général que pour aller se battre lui-même sur la brèche. Avant un assaut de l’ennemi au poste de Castille, il s’écria : « Il faut y aller donc pour les repousser, mais passons à l’église pour faire un mot de prière à Dieu, et pour si peu que nous Le prierons, le temps n’en sera point perdu ni notre aller retardé. Cependant Dieu s’il Lui plaît, bataillera pour nous. »(9)

Le jeudi 23 août, Birgu miné de tout côté est touché par une brèche irréparable. D’aucuns du Conseil pressent le grand maître de se retirer sur Saint-Ange toujours intact. Se dressant face à eux, la Valette leur tint ce discours : « Mes chers frères, je respecte votre avis mais je ne le suivrai pas ! Et voici pourquoi : en abandonnant Birgu, nous perdrons Senglea car la garnison ne pourra pas tenir tout seule. Le château Saint-Ange est trop petit pour contenir toute la population aussi bien que nous-mêmes et nos hommes. Je n’ai pas davantage l’intention d’abandonner à l’ennemi les loyaux Maltais, leurs femmes et leurs enfants. La citerne d’eau pour désaltérer tout le monde et la disette seule d’une chose dont on ne peut se passer nous réduirait en peu de jours ou à mourir de soif ou à ouvrir aux Turcs les portes de la place. Avec les Turcs maîtres de Senglea et de Birgu, le temps ne sera plus éloigné où le château lui-même tombera sous les tirs concentrés de leurs canons. En ce moment, ils sont obligés de disperser leur énergie et leur poudre, ce qui ne serait plus le cas si nous étions tous enfermés à Saint-Ange. Non, c’est ici, mes chers frères, qu’il faut que nous mourions tous ensemble ou que nous en chassions nos cruels ennemis avec l’aide de Dieu. »(10)

Sur ces entrefaites et devant la difficulté de s’approvisionner à laquelle s’ajoutait la crainte de la colère de Soliman devant une défaite prévisible, Mustapha décide de brusquer la victoire en s’attaquant directement à la capitale, Mdina. Cette dernière est du reste peu fortifiée et abandonnée du meilleur de ses défenseurs accourus à la rescousse des forts durement attaqués. Aussi espère-t-il une victoire prompte. Mais à l’annonce de la nouvelle, le gouverneur de Mdina, le chevalier Mesquita, homme d’une grande sagesse et haute intrépidité, use d’un stratagème habile à décourager les Turcs. Il fait habiller la cité d’uniformes de soldats et parader en haut des murailles tous les paysans réfugiés dans la cité. A cette vue, consternés, les Turcs s’écrient : « C’est un autre Saint-Elme ! » Quelques coups de feu et de canons rajoutés achèvent de décourager le vice-roi d’Alger qui se retire par prudence. Une messe d’action de grâce est célébrée dans la cathédrale édifiée sur la maison du romain Publius qui accueillit saint Paul après son naufrage. Pour beaucoup de chrétiens, cette retraite inespérée était le témoignage que saint Paul veillait toujours sur Malte et annonçait le départ prochain et définitif des Turcs. Pour l’heure, le pacha se concentrera sur les forts toujours tenus par les chrétiens en espérant la victoire avant que l’amiral Piali ne regagne avec ses galères Constantinople. Mais les chevaliers, fortifiés par le repli de Mdina, en viennent à évoquer la possibilité de remporter la victoire sans le secours de l’hésitant don Garcia.

Pendant ce temps, en Sicile, le temps joue malgré tout en faveur d’une intervention armée de secours. Le 25 août, sans que la Valette en soit avisé, le vice-roi avec 8.000 à 12.000 soldats met les voiles sur Malte. Mais une tempête puis le mauvais temps rendra difficile la progression. Ce n’est que le 7 septembre que les hommes débarquent sur la plage de Mellieha. Après le débarquement, et sur le chemin du retour vers la Sicile, don Garcia, naviguant au sud de l’île, fait saluer la forteresse de Saint-Ange et le drapeau de l’Ordre. La joie des assiégés qui apprennent ainsi l’arrivée des secours est sans borne. En cette occasion, déçu malgré tout du peu de renfort, le grand maître usa d’un nouveau stratagème. Libérant un esclave musulman prisonnier, il lui accorde sa liberté comme acte de clémence du vice-roi qui vient de débarquer avec 16.000 soldats… : dans ces conditions le pacha n’a plus qu’à lever le siège, lui affirme-t-il ! 

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LE 8 SEPTEMBRE, DEPART DES TURCS, EN LA FETE DE LA NATIVITE DE NOTRE-DAME

Consterné en entendant le rapport de cet esclave, l’état-major turc divisé décide l’évacuation immédiate de l’île. Le 8 septembre, en la fête de la Nativité de Notre-Dame, les troupes turques réembarquent donc… L’allégresse des assiégés put alors se manifester, et une grande foule suivit les chevaliers qui se rendaient en procession chanter un Te Deum solennel à l’église conventuelle Saint-Laurent ! Tous ceux qui avaient douté du bien-fondé des décisions du grand maître purent en cette occasion en reconnaître la sagesse et se féliciter de s’y être soumis.

Mais Mustapha, comprenant son erreur du fait qu’il aurait pu facilement écraser l’armée chrétienne de secours, réunit un conseil de guerre. Malgré l’opposition de Piali qui veut toujours sauvegarder sa flotte et ne serait pas mécontent de voir rentrer vaincu le pacha à Constantinople, et avec l’appui de Hassan, le débarquement est décidé.

Averti du danger par ses observateurs, la Valette envoie d’urgence un messager au chef de l’expédition de secours, Ascarno de la Corna. La Valette sait bien que si par malheur les Turcs l’emportaient, le siège reprendrait et la chute de Malte serait imminente. Tout l’avenir de l’Ordre se jouerait dans les heures qui suivraient. Aussi les chevaliers se ruent-ils à l’assaut des musulmans. « Quelle honte pour nous, déclara le chevalier Alvarez de Sande qui commande l’attaque, si à notre vue ils emportaient ces places qui après tout n’ont plus pour fortification et pour murailles que le corps seul des chevaliers qui les défendent ! » Repoussé à la mer, Mustapha, qui s’était lancé personnellement avec grand courage dans la bataille rembarqua définitivement dans la soirée de ce 8 septembre.

Les chefs de l’armée de secours furent reçus comme des libérateurs. Mais quand ils découvrirent l’état des ruines des deux presqu’îles, lorsqu’ils virent ces brèches si larges qu’il semblait inexplicable que les Turcs eussent échoués, quand ils constatèrent le vide des réserves en nourriture, les blessures et l’état de fatigue avancé des hommes, ils comprirent à quel prix Malte avait été sauvée.

A son retour, le précautionneux Mustapha prend soin de faire annoncer sa défaite au Sultan. Ce dernier en colère déclare alors vouloir exterminer jusqu’au dernier les chrétiens en reprenant lui-même l’offensive : « Mon épée est invincible, mais seulement si c’est moi qui la manie. » Il fit alors publier la victoire de ses troupes en ordonnant à la flotte de ne rentrer dans le port que la nuit tombée, afin que personne ne puisse constater l’état réel des soldats. Cette annonce sauva Mustapha de la décapitation.

Pendant le siège, 260 chevaliers et 8.000 soldats chrétiens périrent, un seul soldat trahit. Le 8 septembre, il ne restait que 600 défenseurs, et encore la plupart blessés. Du côté musulman, sur les 40.000 arrivés, seuls 10.000 retournèrent à Constantinople, et encore sans compter les Algériens, les Egyptiens et les corsaires de Dragut.

« NON ÆS, SED FIDES. » CE N’EST PAS L’ARRENT QUI COMPTE, MAIS LA FIDELITE.

Vainqueur, le grand maître toujours prudent, restaura et renforça les défenses de ce rocher méditerranéen si stratégique. Sans oublier les valeureux fort de Saint-Elme et de Birgu rebaptisés respectivement La Victorieuse et L’Invaincue, il édifia sur le Mont Sciberras une nouvelle forteresse baptisée la humilissima civitas Valettae, la très humble cité de la Valette. S’adonnant totalement à cette nouvelle tâche, sans négliger non plus la guerre de course, le grand maître, très attaché à la discipline de l’Ordre, eut à souffrir de différents scandales qu’il dut réprimer.

Sentant sa fin prochaine arriver, la Valette prit ses dispositions tant matérielles que spirituelles, invitant particulièrement les chevaliers à vivre dans la paix, l’union et l’obéissance stricte à son successeur. Le 21 août 1568, invoquant les saints noms de Jésus et de Marie, il mourut paisiblement âgé de 74 ans. Après des funérailles solennelles présidées par Pierre Guiadalotti, son successeur sitôt élu, il fut inhumé selon son désir, dans l’Eglise Notre-Dame de la Victoire. Depuis, sa dépouille repose dans la crypte de la cathédrale Saint-Jean.

De Jean Parisot de la Valette, « digne d’un honneur éternel. Lui qui fut la terreur de l’Afrique et de l’Asie, le bouclier de l’Europe quand il chassa les Barbares de ses armes saintes... »(11), l’histoire retiendra surtout le vainqueur de Soliman : car, des trois sièges menés par les grands maîtres de l’Ordre contre l’islam(12), celui de 1565 fut, au dire de la chrétienté, le plus spectaculaire et le plus valeureux, fruit d’une fidélité sans faille exprimée par la devise gravée sur la monnaie de cuivre frappée après la victoire, lorsqu’il manquait des fonds tant attendus d’Europe : « Non æs, sed fides ».

 

© R.P. Rémy Delaforge, le 26/08/08, pour LTC Histoire.

 

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Notes :

(1) Il parlait le français, l’italien, l’espagnol, le grec, l’arabe et le turc.

(2) Catherine Desportes, le Siège de Malte, Perrin 1999 - p. 101.

(3) Ibid. p. 120-121. Quelques jeunes chevaliers, en entendant la réponse portée par le chevalier Medran écrivirent une lettre au grand maître dont la substance tient en ces quelques lignes : « Il nous est impossible de continuer la lutte. Nos troupes se préparent à se sauver à la nage. Si on ne nous envoie pas les chaloupes, nous sommes déterminés à sortir les armes à la main et à mourir selon le code de l’honneur, car c’est préférable à cette canonnade incessante. A cette résolution s’en ajoute une seconde : ils refuseront désormais tout renfort, qui ne serait composé que d’hommes envoyés délibérément à la mort. » La Valette, pour gagner du temps envoya 3 chevaliers chargés de rapporter l’état du fort et ajouta : « Les codes de l’honneur ne peuvent nécessairement se satisfaire en sacrifiant la vie de quelqu’un quand cela paraît convenable. Le devoir de soldat est d’obéir. Vous direz à vos compagnons qu’ils restent à leurs postes. Ils doivent y demeurer et ne pas sortir. Quand mes commissaires reviendront, j’aviserai de ce qui devra être fait. » Si deux des commissaires entrèrent dans les vues des rebelles, le troisième, le chevalier Castriota, plus emporté, déclara la situation absolument pas désespérée dans le fort. Il propose alors de rassembler des volontaires et de s’y enfermer. Le grand maître fait remettre aux rebelles une lettre quelque peu ironique : « Un renfort de volontaires a été levé sous le commandement du chevalier Constantino Castriota. Votre pétition pour demander à quitter Sainte-Elme pour mourir à Birgu est dès à présent approuvée. Ce soir, dès que les forces de secours auront débarqué, vous pourrez prendre les chaloupes pour revenir. Revenez au couvent, mes frères, vous y serez plus en sûreté, et de notre côté, nous serons plus tranquille sur la conservation d’une place importante et d’où dépend le salut entier de l’île et de tout notre Ordre ! » Comprenant la honte et le déshonneur qui découlerait d’un tel abandon, ils implorèrent le pardon de la Valette qui, pour témoigner de sa confiance, fit congédier les nouveaux enrôlés, et envoya à leur place 15 chevaliers et 100 soldats.

(4) Ibid. p. 130.

(5) Ibid. p. 134.

(6) Ibid. p. 139.

(7) Ibid. p. 148.

(8) Ibid. p. 154.

(9) Ibid. p. 209.

(10) Ibid. p. 202.

(11) Epitaphe rédigée par son grand ami, sir Olivier Starkey.

(12) Les deux premiers furent ceux de Rhodes : par Aubusson contre le soudan d’Egypte et par Villiers de l’Isle-Adam.