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24/06/2010

UN ILLUSIONNISTE SANS ILLUSIONS…

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Après nous avoir enchantés en 2003 avec son film d'animation intitulé « Les Triplettes de Belleville », le Français Sylvain Chomet nous émerveille de nouveau avec son dernier dessin animé : « L’Illusionniste ». Ce film a été réalisé d’après un scénario de Jacques Tati, jamais mis en scène, et conservé jusqu’alors dans ses archives personnelles, sous le titre anonyme : « Film Tati n° 4 ». Le résultat ? Un pur chef-d’œuvre cinématographique !

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LA MAGIE DU CINEMA OPERE…

Ce magnifique film d’animation subjugue les petits comme les grands. Les dialogues saupoudrés judicieusement complètent une image affinée, savant alliage entre beauté et force. Les exclamations significatives des personnages (comme les « hop hop hop », les répliques en anglais et en français), la gestuelle fouillée, la place très importante de la musique, complètent une palette picturale très originale mixant splendeurs des décors, couleurs travaillées et ambiance poétique. Le rendu dépeint parfaitement l’émotion, la lente et douce mélancolie, la bouleversante humanité qui suintent progressivement de cette histoire pas ordinaire. Les yeux du spectateur sont apprivoisés par les mains du magicien, marchent presque à coup de baguette… magique !

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…EN MEME TEMPS QUE LA MAGIE DE LA VIE S’ESTOMPE !

Jacques Tati, génial créateur de Monsieur Hulot, incarne totalement « L’Illusionniste », le personnage central du film (qui est véritablement SA Représentation animée). Ce dernier est à l’image du célèbre « homme à la pipe » (mime, gaucherie touchante et drôle à la fois, économie de dialogues, comique de situation, etc.). Ce long métrage est un peu comme une bouture d’une œuvre inachevée d’un Maître Jardinier qui aurait poussée chez un de ses élèves les plus doués…

Cet « Illusionniste » vieillissant, équipé sur scène uniquement d’un petit guéridon, d’un chapeau haut de forme noir et d’un lapin obèse un peu rebelle, on l’adopte de suite. Il est certes sans génie particulier, mais son indéniable talent lui permet d’épater son public avec des tours de passe-passe désuets et de grands yeux ébahis qui ne semblent parfois plus étonner que lui… Car en cette fin des années 50, le temps des magiciens, des lanceurs de couteaux, des contorsionnistes, des clowns et des ventriloques a sonné. C’est la fin d’un Monde, celui du Music-hall… une scène en pleine évolution, en pleine révolution, n’accueillant bientôt plus que des divertissements attirant les foules, comme les groupes de Rock qui renversent tout sur leur passage... En essayant de suivre les pérégrinations de « l’Illusionniste », on va assurément de désillusion en désillusion. Pourtant, on voudrait intimement et profondément que cela s’arrange pour lui. Mais, chaque soir, quand le rideau se lève, on se rend compte inexorablement que notre prestidigitateur a tout d'un clown triste, pathétique jusqu’au bout. A ce moment précis, et contre toute attente, ultime tentative de survie dans un monde en pleine agonie, « L'Illusionniste » se révèle poignant et sensible. Même dégingandé et pitoyable, il inspire au public un sentiment d’affection et de pitié mélangé…

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UNE SURVIE ORDINAIRE… QUI DEVIENT EXTRAORDINAIRE !

Le parcours initiatique de « L'Illusionniste » montre un Homme cherchant coûte que coûte à gagner sa vie, grâce à ses tours de magie, ce qui ne peut plus se faire sur Paris car les temps changent. Aussi, « L’Illusionniste » quitte les grandes salles parisiennes, où il a connu la gloire, pour laisser la place aux Rockers… Il va désormais se laisser porter par le hasard, au gré des rencontres, des cartes de visite reçues, alternant les modes de transports les plus divers, passant sans états d’âme d’un train à un bateau, etc.

Dorénavant, il passe sa vie sur les routes, son unique valise à la main et son affiche « Tatischeff, magicien » sous le bras. Tous les soirs, il se produit dans un lieu différent, affrontant un public lui même différent, sans pour autant recevoir les applaudissements qu’il mérite. De fil en aiguille, il arrive en Angleterre, où il tente de se faire connaître. Puis, un ivrogne écossais l'emmène chez lui, dans le village perdu d’une petite île rurale du Nord de l'Ecosse. Là, il renoue à nouveau avec le succès pour un temps, porté par un public sous le charme de ses tours de magie, et bientôt par l’arrivée de la Fée Electricité, sa modernité et ses jukebox permettant d’écouter les groupes de… Rock.

Entre temps, dans son hôtel, il fait la rencontre de la môme Alice - une jeune bonne, belle et naïve, envoûtée par ses « petits miracles » - qu'il prend sous son aile. Et pour survivre, ce duo mal assorti et complémentaire à la fois va devoir cheminer jusqu'à Edimbourg. Alice (qui est aussi un peu magicienne) y change la vie de « L’Illusionniste », modifie tendrement ses habitudes, s’occupe attentivement du foyer, pendant qu’il travaille au théâtre du coin. Le quotidien de ces deux solitaires associés, vivant au milieu d’autres artistes échoués, se partage entre rires et repas frugaux. Elle l’aime comme un père. Il l’aime comme sa propre fille. Et « l’Illusionniste », en écho à la lumière de la citée, illumine chaque jour un peu plus la vie de la jeune fille, tout en maintenant l’illusion qu’ils ne sont pas pauvres… Ils ne se parlent pas, ou si peu, mais cela a-t-il de l’importance quand un regard suffit à tout exprimer ? Alice découvre petit à petit la vie citadine, le lèche-vitrines et le rythme accéléré de cette véritable fourmilière, tandis que « l'Illusionniste » fait tout pour lui assurer une sublime existence. Alice est sur un petit nuage et se métamorphose progressivement en jeune femme… Va-t-elle faire une rencontre qui va casser définitivement leur relation ? C’est ce que vous propose de découvrir ce film !

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Quand Tati ne fait qu'un avec "L'Illusionniste"...

© Photo ci-dessus : http://media.photobucket.com/image/l%252527illusionniste%20le%20film%20chomet/MisterZE3/L%20ILLUSIONISTE/lillusionniste-comparaison.png

UN FILM « PRET-A-CONTEMPLER »…

La précision du coup de crayon de l’artiste traduit sans compromissions, un réalisme à fleur de peau permanent et permet d’entrevoir sans jugement excessif les petites imperfections humaines. Tel est la quintessence, la moelle secrète de cette toile, une très belle histoire contant la fuite en avant et le mouvement permanent dans lesquels se trouve un « Illusionniste », dont le seul gage de stabilité reste Alice ; son Ange Gardien, grâce à qui, il se sent renaître… « L'Illusionniste » est un film « Prêt-à-contempler ». Il ne s’y produit pas d’évènement majeur, mais que des petites choses anodines. Certains le trouveront même un peu trop long. En fait, ce n’est qu’une fois sorti de la salle de cinéma, déconnecté de l’écran, que l'on commence à réfléchir sur l’intensité de son message : le temps qui passe ne se rattrape pas… Cette sensation nous invite à prendre du recul et à savourer chaque instant de cette vie comme un trésor éphémère qui ne se renouvellera pas. Alors, « Passant prend ton temps, sinon il te prend ! » A méditer et à partager…

© Jean Dorval, le 22 juin 2010, pour LTC Kinéma.