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23/05/2022

La Constellation (1)

 

Aucun mot n’est trop grand trop fou quand c’est pour elle

Je lui songe une robe en nuages filés

Et je rendrai jaloux les anges de ses ailes

De ses bijoux les hirondelles

Sur la terre les fleurs se croiront exilées

 

 

Je tresserai mes vers de verre et de verveine

Je tisserai ma rime au métier de la fée

Et trouvère du vent je verserai la vaine

Avoine verte de mes veines

Pour récolter la strophe et t’offrir ce trophée

 

Le poème grandit m’entraîne et tourbillonne

Ce Saint-Laurent pressent le Niagara voisin

Les cloches des noyés dans ses eaux carillonnent

Comme un petit d’une lionne

Il m’arrache à la terre aux patients raisins

 

Voici le ciel pays de la louange énorme

C’est de tes belles mains que neige la clarté

Étoile mon étoile aux doigts de chloroforme

Comment veux-tu que je m’endorme

Tout me ramène à toi qui m’en semble écarter

 

Et parlant de tes mains comment se peut-il faire

Que je n’en ai rien dit moi qui les aime tant

Tes mains que tant de fois les miennes réchauffèrent

Du froid qu’il fait dans notre enfer

Primevères du cœur promesses du printemps

 

Tes merveilleuses mains à qui d’autres rêvèrent

Téméraires blancheurs oiseaux de paradis

Et que jalousement mes longs baisers révèrent

Automne été printemps hiver

Tes mains que j’aime tant que je n’en ai rien dit

 

Le secret de ces mains au-delà de notre âge

Mènera les amants qui parleront de nous

Mais qu’est un beau soleil à qui n’a vu l’orage

Sans le désert qu’est le mirage

On sait un pays grand lorsqu’il est à genoux

[…]

 

(1) de Louis Aragon, in « Cantique à Elsa », Les Yeux d’Elsa,

Pages 100-102, Seghers, 1942