Aux pieds des Vosges, en pleine campagne meurthe-et-mosellane, à deux pas des « Sources d’Hercule » de Deneuvre et de la Cristallerie de Baccarat, se trouve un village original, de 280 habitants, entièrement consacré au Livre. Son nom ? Fontenoy-la-Joûte ! « Ce projet de Village a été sagement mûri par 3 hommes : le Père Serge Bonnet, nancéien, directeur de recherche au C.N.R.S., le fondateur, François Guillaume, député de la circonscription, et Daniel Mengotti, professeur, ami des deux autres protagonistes et animateur du village jusqu'à son décès en septembre 1999. Des foires aux livres furent lancées en 1994 puis le Village du Livre fut inauguré le 28 avril 1996. Depuis, ce sont plus de 60 000 visiteurs qui viennent chaque année découvrir le plaisir de chercher un livre, trouver un livre par hasard ou après de nombreuses recherches ou tout simplement la convivialité d'un village qui a une âme. Plusieurs emplois ont été créés; de nombreuses fermes ont été vendues, aménagées en boutiques de livres avec un respect de l'architecture originale ; un restaurant accueillant et convivial s'est installé. »(2)
Ce bourg typiquement lorrain, comptant 20 bouquineries et 800 000 livres anciens ou d’occasion, s’anime régulièrement d’expositions ou de conférences à thème sur la bande dessinée, la calligraphie (par exemple : « les menus au travers des âges »), la religion et les livres rares, le salon de l’auto-édition où chacun peut présenter son oeuvre… Avis donc à toutes les âmes en quête de reconnaissance !
Le bouquiniste F. Fouminet, qui tient « Le chat botté », se distingue par son originalité, avec un large choix sur la guerre de 1870, la Grande guerre, le scoutisme, la Lorraine, etc. Même les amateurs de BD y trouveront leur bonheur ! Alors amis chineurs à vos marques ! Il n’y en aura pas pour tout le monde !
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LA VISITE S’ENRICHIT DE LA PRESENCE D’UN ARTISAN PAPETIER
« La Maison de l'Imprimerie et du Papier a été inaugurée le 26 avril 1998 par Monsieur Joseph Losfeld, recteur de l'Académie de Nancy-Metz. (…) Vaste ferme lorraine superbement restaurée (…). Venu de Charente, Jean-Pierre Gouy, fabricant de papier à la main depuis 20 ans s'y est installé en 1998 (…) Profitez-en, ils sont encore (…) une douzaine en Europe à fabriquer ainsi des papiers que l'industrie ne peut (ou ne veut plus, ndlr) fabriquer… »(2)
« La découverte du papier par les Chinois semble remonter à l'an 105 après J.C., sous le règne de l'Empereur Hoti, et est généralement attribuée au Ministre de l'Agriculture Tsaï-Lun. Il réussit, à l'aide de vieux chiffons et d'écorces réduits en bouillies, à fabriquer une pâte qui, passée dans un tamis et séchée, donnait une feuille d'une éclatante blancheur. Longtemps, la fabrication du papier resta secrète en Chine. Ce n'est qu'au VIIème siècle qu'elle parvint chez les Japonais, qui l'utilisèrent rapidement comme support de l'écriture. L'événement décisif fut la bataille de Samarcande en 751, qui se traduisit par la défaite des Chinois. Les Arabes firent de nombreux prisonniers, parmi lesquels certains prétendirent être "papetiers". Les vainqueurs comprirent très vite l'importance de cette géniale invention, qui se répandit dans tout leur empire, jusqu'en Andalousie. On trouve des moulins à papier à Cordoue et Séville à la fin du 11ème siècle, puis à Tolède et en Catalogne au début du siècle suivant… » (3)
« ...Après les Espagnols, se sont les Italiens qui installèrent les premières fabriques de papier vers 1250, notamment à Fabriano et près de Gènes. En France, le premier moulin connu fut installé près de Troyes en 1348. On trouve d'autres moulins à Essonnes (1354) et Saint Cloud (1376). Peu à peu, cette nouvelle industrie se développe partout en Europe et l'invention de l'imprimerie par Gutenberg, en 1445, lui donna un essor de plus en plus grand. »(3) Jean-pierre Gouy fabrique des papiers à l'ancienne, à la bière, de rhubarbe, pour reliure, chiffon… avec lesquels, il confectionne autant de faire-part (à fermer au cachet de cire), menus, cartes, cadeaux, ou feuilles pour aquarelles. En artiste confirmé, il œuvre en public procédant à de savantes démonstrations de composition et d’impression typographique. « Si vous lui demandez, il vous racontera l'histoire du papier, les anecdotes et même un peu de l'histoire de l'imprimerie depuis Gutenberg. »(2) « Imprimer c’est reproduire par pression ; quand on utilise un tampon, on fait de l’imprimerie. »(1) Aussi, il faut absolument voir sa collection de machines anciennes d'imprimerie, sauvées de la casse par les « Amis du Livre » et des imprimeurs lorrains. Son atelier lieu d’expositions ouvert à d'autres artistes, accueille des groupes de visiteurs et des scolaires, auxquels il prodigue ses activités pédagogiques. Les enfants, notamment, fabriquent du papier à base de bois et d’eau mélangés, qu’ils compressent dans un tamis spécifique comprenant des feutres. La dernière manœuvre étant le séchage de la future feuille.
A LA SAINT-JEAN-PORTE-LATINE, ON FETE LES IMPRIMEURS…
« Le 6 mai 95 à Rome, saint Jean l’Evangéliste fut martyrisé devant la Porte Latine (celle qui mène au Latium) et plongé dans une chaudière d’huile bouillante qui se changea, raconte l’exégète, « en un bain rafraîchissant dont il sortit fort et plus vigoureux ». Jean fut alors exilé dans l’île de Pathmos. L’huile étant l’ingrédient de base de l’encre d’imprimerie, les imprimeurs adoptèrent Saint-Jean-Porte-Latine comme vocable de leur confrérie en 1572, sous Charles IX. Déjà, en 1401, Charles VI avait répondu favorablement à une supplique des artisans de cette corporation en les autorisant à se placer sous le patronage de ce saint, en faisant de la saint Jean une fête du Livre. En juin 1467, Louis XI autorisa les libraires à faire partie de cette confrérie. En 1488, Charles VIII y fit admettre les imprimeurs. La première impression connue de Gutenberg (dont le prénom était Hans signifiant Jean), avant l’utilisation des caractères mobiles, est l’Evangile de saint Jean en 1446-1447. » (1)
QUAND MAITRE CALLIGRAPHE SORT SA PLUME
« Au début de l’expression écrite, on utilise des dessins qu’on appelle aujourd’hui des idéogrammes quand ils expriment une idée et des pictogrammes quand ils représentent une chose ou un être. (…) Puis apparaissent les alphabets… »(2) Bruno Klotz calligraphe émérite initie les scolaires à son art, par un petit exposé historique adapté. L'enfant découvre ainsi l’écriture à la plume métallique à partir des lettres de son prénom, d’un style d’écriture proposé, comme l’onciale, le gothique, le bâtarde... L'élève tout fier repart avec sa propre calligraphie ! Ces ateliers découverte peuvent être conjoints à ceux de la Maison de l'Imprimerie et du Papier. De même, il propose aussi des stages d'initiation pour adulte ou enfant, et crée, sur commande spéciale, de magnifiques marque-places pour mariages, dîners, réceptions ; menus, cartes de vœux, manuscrits à encadrer, diplômes, annonces de spectacles, poésie, et art postal. Il tient à disposition des amateurs tous les types d’écritures, anciennes et modernes ; ainsi que des enluminures.
© Photo ci-dessus : http://www3.ac-nancy-metz.fr/
DES OUTRAGES DU TEMPS
Roland Vanderheyden, quant à lui, s’adonne, sans modération, à la reliure et à la dorure d'art, à la restauration de reliures anciennes et propose aussi des stages. Les enfants peuvent pratiquer sa noble matière en reliant un petit feuillet(1) cousu main (traitant de manière ludique de l’évolution de l’écriture, des moyens de transmission durable d’une information, des différents signes pour écrire (avec un très bel extrait de « l’Encyclopédie Diderot et D’Alembert » de 1751), de l’origine de la fabrication du papier et de l’imprimerie (avec des représentations du « Bois Protat », la plus ancienne image imprimée connue en France, datée de 1370 ; et de la célèbre presse de Gutenberg, remontant à 1453, qui utilisait des caractères mobiles pour imprimer sur parchemin une Bible à 42 lignes par page), de la reliure (métier qui remonte à 1000 ans avant JC - à l’époque, les égyptiens reliaient bout à bout leurs papyrus avec du parchemin, en rouleau. Au 3ème siècle après JC, on commence à superposer les feuilles, les coudre et ajouter une reliure : le codex est né !).
A une époque où les masses populaires s’abreuvent en continu de culture presse-bouton et bon marché auprès des masses médias, et où la mémoire humaine est principalement audio-visuelle, voire numérique ; voilà qu’un petit village « rebelle » s’est investi d’une mission de préservation de notre plus longue mémoire, la mémoire écrite ! Cette richesse donnant l’intelligence, non artificielle et non élitiste, qui nécessite un effort naturel de réflexion à l’échelle humaine ; pour en règle générale, un faible investissement (sauf à être collectionneur de raretés… ), tend inexorablement à disparaître dans un monde de facilités et d’auto-satisfaction. Pourtant, elle a forgé les grands esprits de l’Humanité, tout comme l’intelligence de nos pères ! Cette expérience, loin du musée vivant figé uniquement vers le passé, permet la communication de la somme des savoirs, de génération en génération. N’avons-nous jamais rêvé en feuilletant les pages d’un vieil ouvrage ? Sa couverture, sa reliure, sa couleur, sa matière, ses illustrations, son odeur… Celui qui dit le contraire serait à même de chercher la définition du mot « menteur » dans les pages d’un dictionnaire ! Mais là encore, cela veut dire qu’il faut avoir envie d’ouvrir un livre…
© Jean Dorval, le 08/04/05, pour LTC Grands Reportages.
Informations complémentaires :
Syndicat d’Initiative
39 rue Leclerc
54122 Fontenoy-la-Joûte
Tél./fax. : 03.83.71.53.25
http://www.fontenoy-la-joute.com/
ou : www.ac-nancy-metz.fr/fontenoy/#
Sources documentaires :
(1) 2004 - ® Les Papiers du Moulin – © Maison de l’Imprimerie et du Papier
(2) selon <levillagedulivre.free.fr>
(3) « Histoire du papier » d’après <home.page.ch/pub/reliurebcapt@vtx.ch/papier.htm>